Si votre neveu décide, à 14 ans, de devenir végétalien strict, se nourrissant exclusivement aux produits bios et sans gluten, en prime, est-ce une bonne nouvelle santé?
Si votre voisine de 50 ans, qui a toujours été bien ronde, vous arrive un beau jour, sans crier gare, en ayant subitement perdu les 30 kg la séparant de son poids soi-disant «santé», est-ce, encore là, une bonne nouvelle?
«Pas nécessairement», vous répondra la Dre Rebecka Peebles, si vous lui posez la question.
Pédiatre spécialiste de l'adolescence au programme des troubles alimentaires de l'hôpital Lucile Packard, attaché à l'Université Stanford, en Californie, la Dre Peebles travaille au quotidien avec des adolescents pour essayer de leur redonner une santé volée par leurs troubles alimentaires. Et ce qu'elle constate ne correspond pas aux discours officiels.
Ce qu'elle voit, c'est que derrière des choix encouragés, vantés et loués par notre société, soit maigrir et faire de l'activité physique, se cachent des comportements obsessionnels problématiques pouvant mener à des troubles médicaux aussi sérieux que ceux associés aux troubles alimentaires classiques, notamment l'anorexie et la boulimie.
Il est temps, croit la Dre Peebles, qu'on revoie ce que sont réellement les troubles du comportement alimentaire. Qu'on apprenne à les reconnaître là où ils se cachent. Et qu'on trouve des façons de les traiter plutôt que d'applaudir aux apparences.
Car ce qu'a remarqué la médecin, c'est que des adolescents peuvent ne pas du tout satisfaire aux critères officiels pour être diagnostiqués anorexiques ou boulimiques (des personnes souffrant de boulimie, par exemple, peuvent avoir un poids considéré comme santé), mais souffrir des mêmes problèmes médicaux occasionnés par les troubles alimentaires officiels, en commençant par les carences nutritionnelles. Elle a fait une étude sur la question, dont les résultats viennent de paraître dans la revue Pediatrics.
«Je pense, par exemple, à ces adolescents qui souffrent d'embonpoint, que l'on encourage à maigrir et qui, soudainement, perdent parfois plus de 25% de leur poids», explique la Dre Peebles.
Or plutôt que de s'inquiéter pour eux, on les félicite.
En fait, notre volonté collective presque obsessionnelle de lutter contre le surpoids et l'obésité est devenue si répandue et si omniprésente, autant dans le monde de la santé que dans les sphères généralement montrées du doigt que sont la mode et les médias, que les troubles alimentaires socialement acceptables et acceptés sont devenus, eux aussi, un fléau.
«Si on élargissait la définition de ce qui constitue réellement un désordre alimentaire, on se rendrait compte que c'est aussi répandu que l'obésité», va même jusqu'à déclarer la spécialiste.
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Autant de personnes souffrant de troubles alimentaires que de gens obèses?
Il suffit de regarder autour de soi pour constater que les comportements obsessionnels en matière d'alimentation sont partout. Certaines études américaines, par exemple, montrent que le quart des étudiantes utilisent la purgation pour maintenir leur poids, que 15% des étudiantes se font vomir, que le tiers des étudiantes ont au moins essayé de se faire vomir. «Ce n'est pas juste l'obésité qui est un problème», dit la Dre Peebles.
Notre société (et pas juste le monde de la mode) est tellement obsédée par la minceur ou l'absence de ce qu'elle considère comme du surpoids qu'on ne cherche pas, en commençant par les médecins, à savoir comment la population non obèse réussit à maintenir sa taille. Est-ce par une attitude saine envers l'alimentation ou en prenant des raccourcis dangereux?
«On dit aux gens constamment, partout, maigrissez. Mais on ne leur dit pas: «Faites-le de façon saine et médicalement sécuritaire», explique la pédiatre. Le monde médical se concentre beaucoup trop sur les chiffres sur le pèse-personne. Alors que les comportements des patients sont tout aussi importants.»
En fait, la Dre Peebles rejoint plusieurs autres spécialistes de la question que j'ai interviewés dans les dernières années - je pense notamment au Dr Jean Wilkins de Sainte-Justine - qui se demandent si notre lutte collective contre l'obésité n'est pas en train de provoquer des effets pervers, notamment chez les adolescents, comme les comportements mentionnés au début de l'article.
La quête de minceur officiellement sanctionnée par les messages anti-gras de santé publique vient à se fondre avec la recherche des images corporelles encouragées, elle, par la mode, les médias, la pub et compagnie.
Et la Dre Peebles va même plus loin. «Quels sont les réels liens entre le poids et la santé? demande-t-elle. Les jeunes qui restent minces tout en mangeant de la malbouffe sont-ils plus en santé que ceux qui ont de l'embonpoint? Tout n'est pas aussi noir et blanc que l'on pense.»
lundi 19 avril 2010
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